Le Point : Elon Musk a acheté Twitter en 2022. Qu’en a-t-il fait et comment voyez-vous son avenir ?

Ryan Mac :Elon Musk a acheté Twitter car c’était son jouet préféré. Début 2022, il était l’homme le plus riche du monde grâce à la hausse du cours de Tesla. Alors que d’autres milliardaires achètent des équipes sportives ou des yachts, Musk a décidé de posséder sa plateforme sociale préférée. On peut imaginer X continuer à se modeler sur sa personnalité : plus provocateur, moins filtré, et potentiellement plus polarisant. Quant à Musk, il est peu probable qu’il change de trajectoire. On peut s’attendre à ce qu’il continue d’utiliser X comme son terrain de jeu personnel.

Kate Conger : Une chose est certaine : l’influence d’Elon Musk sur la technologie et la culture populaire ne fera que croître. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il est devenu une figure incontournable de notre époque.

A-t-il réussi à transformer X/Twitter comme il l’avait promis en une appli tout-en-un comme WeChat, très populaire en Chine ?

K. C. : Non, pas vraiment. Il veut en faire une plateforme de paiement, mais c’est difficile car il faut une autorisation dans chaque État des États-Unis.

R. M. : Cette idée d’application tout-en-un n’est pas spécifique à Elon Musk. Mark Zuckerberg [Facebook] en parle depuis longtemps, tout comme Evan Spiegel [Snap]. C’est un peu comme le Graal dans le monde des applis mais c’est compliqué à mettre en place car cela vous autorise à contrôler tout le monde.

Elon Musk est-il, comme il se présente lui-même, un héros de la liberté d’expression ?

R. M. :Sa position sur la liberté d’expression est à l’image des montagnes russes : pleine de hauts, de bas et de virages inattendus. D’un côté, il se présente comme le champion absolu de la liberté d’expression…

K. C. : Mais, de l’autre, nous avons des exemples concrets où il a cédé aux pressions. En Inde, X a supprimé du contenu critique envers le gouvernement Modi. En Turquie, Elon Musk s’est plié à la censure des autorités juste avant les élections.

R. M. : Ces décisions mettent en lumière le conflit entre les idéaux proclamés et les réalités commerciales.

L’influence d’Elon Musk sur la technologie et la culture populaire ne fera que croître. Il est devenu incontournable.

Comment peut-on le cataloguer politiquement ?

K. C. : La vérité, c’est qu’Elon Musk est difficile à classer. Il est comme ces illusions d’optique : selon l’angle sous lequel vous le regardez, vous pouvez voir un philanthrope visionnaire ou un capitaliste impitoyable. Et c’est peut-être précisément cette ambiguïté qui le rend si fascinant – et si dangereux – aux yeux de beaucoup. Il tweete à longueur de journée, on ne peut soupçonner à quel point ses opinions ont été façonnées par Twitter. Musk est dessus toute la journée…

R. M. : C’est vrai, vous ne pouvez pas imaginer à quel point Twitter a façonné ses opinions politiques. En réalité, Twitter a transformé Musk autant que Musk a transformé Twitter.

Elon Musk a une confiance inébranlable en son propre jugement.

Quid de sa relation passionnée avec la science : il la célèbre à travers son amour de la physique tout en se montrant parfois sceptique, comme sur l’ampleur de la pandémie de Covid ?

K. C. : Cette dualité s’explique en partie par sa personnalité. Il a une confiance inébranlable en son propre jugement, forgée par ses succès dans des domaines où on le disait voué à l’échec. Imaginez-le, assis dans son bureau chez SpaceX, entouré de fusées réutilisables censées être impossibles à réaliser. Dans son esprit, si les experts se sont trompés sur les fusées, pourquoi auraient-ils raison sur un virus ?

R. M. : Il y a aussi un aspect plus pragmatique à cette relation complexe avec la science. Musk est avant tout un homme d’affaires. Quand la science sert ses intérêts – la physique pour SpaceX, l’électrochimie pour Tesla –, il l’embrasse pleinement. Mais quand elle menace de ralentir sa production, comme les mesures sanitaires lors de la pandémie, il peut adopter une posture plus sceptique.

En quoi sa personnalité est-elle unique ?

K. C. : Ce qui est fascinant chez lui, c’est la transparence avec laquelle il affiche ses émotions. Contrairement à des dirigeants comme Mark Zuckerberg ou Sundar Pichai [Google], qui sont très fermés, Elon Musk a toujours été différent dans le sens où il montre ses batailles, ses luttes, son enthousiasme, sa douleur.

Propos recueillis par Guillaume Grallet